Cryptomonnaie : Débloquons les chaînes
17 octobre 2022 • Big Data & IA - Cybersécurité - Industrie du futur - Médias du futur - Smart City
Les cryptomonnaies comme le Bitcoin sont basées sur le système de la blockchain qui permet de décentraliser les informations entre les serveurs et les différents participants. Si cette technologie numérique permet de garantir la sécurité et l’intégrité des transactions, cela nécessite des modèles algorithmiques lourds et associés à une dépense d’énergie élevée. Les recherches menées dans le consortium TrustShare: blockchain-oriented innovation chair ont notamment pour objectif d’alléger les opérations liées aux blockchains tout en maintenant leurs aspects techniques de sécurité.
La blockchain est une technologie numérique déployée en 2008 avec l’apparition du Bitcoin. Cette cryptomonnaie visait notamment à répondre à la perte de confiance envers les institutions financières et gouvernementales associées à la crise économique. Bien que non exclusives, les principales applications actuelles des blockchains concernent les transactions associées aux systèmes financiers. “Avec le système de la blockchain, la confiance envers les institutions est remplacée par la confiance envers la technologie” explique Petr Kuznetsov, chercheur à Télécom Paris et membre du consortium TrustShare: blockchain-oriented innovation chair. Le principe de cette confiance consiste à décentraliser les informations en utilisant un réseau pair à pair. Au lieu de stocker celles-ci sur un même serveur et que les opérations soient contrôlées par un tiers de confiance, des algorithmes sont utilisés pour les distribuer entre les différents internautes qui peuvent être serveur ou receveur d’un autre.
La fiabilité d’une blockchain dépend de la robustesse de celle-ci face aux erreurs accidentelles et aux attaques intentionnelles, dites byzantines, visant à falsifier des informations. Le problème principal de sécurité des cryptomonnaies est lié à la temporalité de validation des transactions dans l’ensemble du système. Le double spending correspond au fait qu’un participant effectue deux transactions avec le même argent, profitant du fait que la première transaction n’ait pas été encore prise en compte par l’ensemble du système pour effectuer la deuxième. Des protocoles de synchronisation sont donc mis en place pour garantir l’intégrité des informations partagées. Ils utilisent des méthodes dites de consensus entre les participants, ce qui signifie que ces derniers doivent être en accord sur une version identique de la blockchain. “Cela correspond au principe algorithmique de réplication des machines à l’état, où le consensus doit être résolu pour chaque bloc d’informations ajouté et où chaque participant a accès à une copie identique de la blockchain” pointe le chercheur Petr Kuznetsov.
De nombreuses méthodes de consensus ont été mises en place avec le temps. A titre d’exemple, la première méthode existante employée dans le cas du Bitcoin, s’appelle proof of work. Avec cette approche, l’ajout d’un bloc nécessite de résoudre des problèmes cryptographiques très lourds qui impliquent une puissance de calcul importante. Ce système vise à ralentir l’ajout des nouveaux blocs afin de garantir la synchronicité des informations disponibles aux participants. Cela empêche un utilisateur malhonnête d’effectuer un double spending avant que la blockchain soit mise à jour pour l’ensemble des utilisateurs. « Pour que cette validation fonctionne, plus de 50% de la puissance de calcul doit appartenir à des participants corrects. Cela permet de lutter contre des attaques: si un utilisateur minoritaire ajoute ou modifie un bloc de manière frauduleuse, alors il ne sera pas validé par le consensus » précise le chercheur. Ces contraintes technologiques et algorithmiques permettent de rendre les attaques difficiles. D’autres modèles de consensus fonctionnent avec des conceptions de preuves de confiance différentes, mais dans l’ensemble ces modèles ne sont pas toujours optimisés.
“Les solutions basées sur le consensus fonctionnent mais elles demeurent extrêmement complexes, lourdes et coûteuses en énergie, ce qui peut se révéler excessif et inutile dans certains cas de figure” indique le chercheur. “Nous cherchons à élaborer des solutions moins lourdes et qui nécessitent moins de puissance pour trouver des solutions plus adaptées », poursuit-il.
Alléger le protocole de calcul
Afin de concevoir des systèmes de protection plus optimisés, les recherches menées par le consortium TrustShare: blockchain oriented innovation chair consistent à effectuer des hypothèses et concevoir des modèles sur les attaquants, qui sont notamment basés sur le degré de confiance entre les participants dans le système. Celle-ci dépend de leur facilité d’accès à la blockchain et donc du niveau d’ouverture des environnements. Les environnements ouverts à tous les participants, comme celui du Bitcoin, ont une probabilité plus élevée de contenir des participants malveillants comparés aux environnements où l’accès est contrôlé. Les environnements ouverts sont ceux qui comportent le plus d’incertitudes quant aux participants et nécessitent des modèles de résolution de consensus plus coûteux.
Une première approche pour alléger les calculs consiste à améliorer la confiance dans l’environnement en développant des modèles qui prennent en compte des espaces plus localisés au sein même des blockchains. Dans ce cas, malgré le fait que le degré de confiance dans le système général ne soit pas élevé dans l’ensemble du système, celui-ci peut être plus élevé dans des sous-ensembles. “La confiance dans les cryptomonnaies est à l’image du marché financier, où elle est plus élevée dans les marchés nationaux car réglementés par des lois nationales” explique le chercheur. Ainsi, il serait possible d’implémenter des validations de transactions moins lourdes, qui auraient théoriquement des garanties de sécurité plus faibles dans le système global mais qui fonctionnent parfaitement dans un espace plus local. “Des hypothèses de confiance locale permettent d’obtenir des solutions plus légères et efficaces” pointe le chercheur. Avec l’arrivée du Bitcoin, l’innovation de la blockchain a basé son fonctionnement en adressant des calculs très compliqués dans des environnements hostiles où il n’y a pas de modèles intégrant des hypothèses de confiance. Bien que fonctionnel, il serait rentable de renforcer ces modèles en y ajoutant des hypothèses ainsi que de réduire certains calculs non optimaux.
L’étude de la structure des blockchains en fonction des participants et de leurs liens entre eux permet aussi d’alléger certains mécanismes. Il serait ainsi possible de ne pas avoir recours au système de consensus sur l’ordre absolu des blocs mais sur des ordres partiels. En effet, entre différentes parties d’une blockchain, certaines transactions n’ont parfois aucune influence entre elles et il n’est pas nécessaire de déterminer quelle est la transaction qui a lieu en premier par rapport à une autre. “Il est finalement assez rare que l’intégrité des transactions de cryptomonnaies dépende réellement de l’ordre total des blocs d’informations” précise le chercheur. Le consensus sur un ordre absolu est nécessaire lorsque ce qui est implémenté dans un système donne lieu à des conflits potentiels entre différentes parties. Mais dans beaucoup de cas, certains blocs peuvent être ordonnés arbitrairement sans que cela n’affecte le système. “À l’image d’une société humaine: chaque action individuelle ne dépend pas de toutes les autres, certaines peuvent avoir plus d’influence sur l’ensemble du système mais la plupart des actions locales et ordinaires n’ont pas de conséquence immédiate pour d’autres” illustre le chercheur.
Des recherches actuelles dans le domaine vise à identifier les cas où des conflits peuvent survenir et où il faut absolument maintenir un consensus par rapport aux cas où ce n’est pas nécessaire. La méthode de consensus, qui est considérée comme la manière principale de résoudre les problématiques de sécurité des cryptomonnaies, présente des désavantages importants en termes de dépenses non optimisées d’énergie et de temps. Avec une compréhension plus fine de l’environnement des blockchains, ces méthodes pourraient être ajustées selon les cas.
Le projet TrustShare: blockchain-oriented innovation chair est développé à Télécom Paris, composante du Carnot Télécom & Société numérique, et il est financé par Mazars Conseil et la Caisse des Dépôts et Consignations. “Nous regroupons des données à grande échelle afin de résoudre ces problématiques à forte complexité et aux enjeux importants pour l’avenir des systèmes d’informations décentralisés” conclut le chercheur.