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Yōkobo : un robot peut-il aider à créer du lien au sein d’un foyer ?

25 novembre 2022 • Big Data & IA - Cybersécurité - Industrie du futur - Médias du futur - Mobilité intelligente - Réseaux & IoT - Santé numérique - Smart City

La robotique représente-t-elle une solution pour améliorer le quotidien des êtres humains ? Afin de tenter de répondre à cette question, des chercheurs, soutenus par le Carnot TSN et issus notamment de Strate École de Design en partenariat avec Orange, l’Université de Nantes et GV Lab de TUAT au Japon, ont développé Yōkobo, un robot visant à favoriser la communication chez les couples de jeunes retraités.

Le monde de la robotique a toujours nourri l’imagination humaine. Dans les œuvres de science-fiction, les machines sont souvent dépeintes comme des intelligences supérieures, capables de servir leurs créateurs, de communiquer parfaitement avec eux, mais aussi de se rebeller. Et si les robots pouvaient contribuer à serrer les liens entre des êtres humains ? Cette question, dans un cadre spécifique, fait l’objet d’une thèse de doctorat, soutenue par le Carnot TSN et réunissant l’entreprise Orange, Strate École de Design, le Laboratoire des Sciences du Numérique de Nantes (LS2N) et l’Université d’agriculture et de technologie de Tokyo (Japon).

La difficile communication au sein des couples de jeunes retraités

La variété des acteurs impliqués souligne bien la diversité des compétences mobilisées. « Il s’agit d’une thèse hybride, reposant sur une grande pluridisciplinarité, avec le design, l’ergonomie, ou encore l’informatique pour la robotique », note Ioana Ocnarescu, directrice de la recherche et co-encadrante de la thèse à Strate École de Design.

Plus précisément, cette recherche s’intéresse à l’impact possible de la présence, au sein d’un foyer d’un couple de jeunes retraités, d’un objet à comportement. L’intention de ce type d’objet animé est de faire penser aux utilisateurs qu’il a une intention qui lui est propre, qu’il a une vie à soi. Pourquoi cibler cette population en particulier ? « La retraite peut constituer une période charnière pour un couple », relève Dominique Deuff, doctorante et chercheuse au sein d’Orange Innovation. « Car du jour au lendemain, les deux membres du foyer peuvent se retrouver à passer tout leur temps ensemble, à la maison. Un bouleversement susceptible d’altérer la communication et de mettre en exergue des désaccords potentiels, qui étaient auparavant estompés par les journées de travail. » Dans ce contexte, que peut proposer la technologie pour le bien-être des couples grâce à un champs relativement nouveau dans la robotique, les objets à comportement ? C’est ce que l’étude cherche à déterminer.

Se sentir seul(e) malgré la présence de l’autre

Le travail, entamé en 2018, a débuté par une phase exploratoire : les auteurs sont allés à la rencontre de dix couples de jeunes retraités, en France et au Japon. L’objectif : connaître les activités quotidiennes des personnes au sein du foyer, mais aussi étudier leur réaction face à un robot autonome présent chez eux, en l’occurrence le robot Pepper.

Ces études ont permis de mettre en évidence les attentes des individus vis-à-vis d’un robot à domicile. « Les personnes interrogées souhaitaient notamment que l’objet puisse les remplacer dans les tâches quotidiennes, tel un majordome robotisé, et qu’il joue le rôle d’assistant vocal », indique la chercheuse au sein d’Orange Innovation.

Si ces retours étaient précieux, ils ne constituaient toutefois pas un cahier des charges pour les chercheurs. « Notre démarche ne vise pas à fabriquer un produit dans un but commercial », rappelle la directrice de la recherche à Strate École de Design. « Nous avons pour objectif de répondre à une problématique de terrain et d’étudier l’impact de l’objet sur le quotidien des utilisateurs en situation réelle d’usage et d’expérience. »

Par ailleurs, les études préliminaires ont mis en avant quelques différences entre les deux pays. Par exemple, au Japon, les personnes interrogées formulaient davantage d’attentes quant à un aspect affectif chez le robot. Un souhait révélateur du sentiment de solitude exprimé par plusieurs participants à l’étude, malgré la présence de leur conjoint(e) sous le même toit.

Yōkobo : un vide-poches intelligent pour simuler la présence de l’autre à la maison

C’est particulièrement à cette problématique que s’est intéressée l’équipe de recherche, via la conception d’un robot baptisé « Yōkobo » (« yōkoso » signifiant « bienvenue » en japonais et « bo » faisant référence au mot français « robot »). Celui-ci a été élaboré grâce à un « processus design » : à partir des données préalablement recueillies, un premier prototype a été réalisé via des ateliers d’idéation, puis de recherche de concept, de forme et d’interaction, avant d’impliquer les ingénieurs en robotique de l’université japonaise.

L’idée était de faire en sorte que Yōkobo réponde à plusieurs contraintes, liées à l’étude d’un objet à comportement. Ainsi, le dispositif mis au point devait être non vocal et non humanoïde. De plus, plutôt que de s’appuyer sur un robot existant, l’équipe préférait partir d’un objet déjà présent dans la maison, pour le robotiser, afin d’étudier l’impact induit par cette robotisation sur les personnes du foyer.

L’intérêt des auteurs s’est alors porté sur le vide-poches. Pourquoi ce choix ? « Il s’agit d’un objet situé à l’entrée, qui peut donc faire le lien entre les personnes lors des allées et venues », explique Dominique Deuff. « Et sa localisation rappelle l’idée du majordome, en écho au souhait exprimé lors des études préliminaires. » Les chercheurs ont ainsi décidé de mettre au point « un vide-poches sensible et favorisant le dialogue au sein du couple », selon Ioana Ocnarescu.

Un robot capable de reconnaître, saluer et mimer les occupants de la maison

Plusieurs prototypes de Yōkobo ont finalement vu le jour, avec la faculté d’adapter leur comportement à leur environnement :

  • S’il est seul dans une pièce, Yōkobo affiche toujours une petite « respiration », un mouvement qui lui permet de simuler une présence en permanence.
  • Lorsque quelqu’un s’approche de lui (ce qu’il repère grâce à des capteurs à ultrasons), il va « s’animer de différentes façons, en fonction de la météo», détaille la doctorante. « Par exemple, s’il fait froid, il va simuler des frissons. Et en cas de chaleur, il va ralentir ses mouvements, de sorte à reproduire une forme d’état de torpeur. » Des animations qui dépendent des données fournies par une station météo : température, humidité, pression atmosphérique et qualité de l’air.
  • Si une personne s’approche plus près, il va alors entrer en état de « salutation ». « Dans ce cas, Yōkobo tente de mimer l’utilisateur, en reproduisant la dynamique de ses gestes», décrit Dominique Deuff. « Si je lui fais un salut japonais, il imitera ce mouvement. Si j’effectue de grands gestes avec les bras, il répondra par une animation similaire, dans la limite de ses capacités. » Une fonctionnalité qui rappelle le comportement d’un majordome saluant les occupants du foyer.

De plus, Yōkobo est capable de reconnaître ses différents utilisateurs, grâce à leurs trousseaux de clés, complétés d’une étiquette RFID. Cette capacité permet à l’objet de transmettre un « message » d’un membre du couple à l’autre. En effet, lorsqu’un individu pose ses clés, le robot va reproduire les gestes de son ou sa partenaire, préalablement enregistrés lors de la précédente « salutation ». Puis, il va mémoriser les mouvements du nouvel arrivant, de sorte à pouvoir ensuite communiquer la trace de ce passage au second occupant.

La robotique doit encore trouver sa place

De cette façon, Yōkobo crée du lien direct entre les conjoints. « Mais il agit aussi comme un intermédiaire indirect », ajoute la chercheuse d’Orange Innovation. « Car l’idée est également de rapprocher le couple autour d’un nouveau sujet : le robot et ses réactions. » Celles-ci sont en effet parfois inattendues, ce qui peut inciter les membres du foyer à partager leur ressenti. C’est ce qui ressort des premières expérimentations en cours : deux foyers ont déjà accueilli un prototype du robot en France et seront suivis d’un troisième. La sensibilité aux mouvements joue ainsi un rôle majeur dans les interactions avec l’objet et entre les individus eux-mêmes.

En parallèle, Yōkobo a reçu le prix d’excellence au Kawaii Kansei Design Award. Ce concours, organisé au Japon, vise à récompenser des projets répondant aux critères du « kawaii », terme japonais signifiant « mignon ». Chez le robot vide-poches, la forme et les interactions ont su séduire le jury.

Dès lors, peut-on imaginer Yōkobo devenir incontournable dans tous les foyers à l’avenir ? « Il faut néanmoins garder à l’esprit que la robotique ne constitue pas la réponse à tous les problèmes », tempère Ioana Ocnarescu. « Aujourd’hui, les technologies autonomes n’en sont encore qu’à leur début et il convient de s’interroger sur la place qu’elles peuvent occuper auprès des êtres humains. Nous-mêmes, en tant que chercheurs dans ce domaine, ne militons pas particulièrement en faveur de la robotique. Notre seule ambition est d’améliorer le bien-être, le confort, ou encore la communication au sein du foyer, quels que soit les moyens employés, plus ou moins technologiques. » La maison du futur ne passera donc par les robots que si ces derniers apportent une réelle valeur ajoutée sur ces problématiques.

Retrouvez Dominique Deuff en soutenance de thèse sur ces sujets porteurs le 24 janvier 2023 à Strate Ecole de Design à Sèvres.

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