UFOGUIDE : Brûler les tumeurs osseuses grâce aux ultrasons focalisés
28 septembre 2022 • Big Data & IA - Industrie du futur - Santé numérique
Le développement d’un cancer chez un individu peut entraîner la formation de tumeurs dans les os, occasionnant des douleurs très intenses. Parmi les traitements possibles, le recours aux ultrasons focalisés représente une solution efficace, mais souvent coûteuse et peu pratique. Avec son dispositif UFOGUIDE, l’équipe de recherche menée par le laboratoire ICube et l’entreprise Image Guided Therapy, et soutenue par le Carnot TSN, entend rendre les thérapies ultrasonores plus accessibles et faciles à mettre en œuvre.
Les cancers les plus courants (sein, prostate, poumon, colon) sont très souvent associés à l’apparition de tumeurs secondaires, appelées métastases. Celles-ci peuvent notamment atteindre les os, ce qui entraîne des risques sérieux pour la santé du patient, mais aussi des douleurs généralement très intenses.
Grâce aux progrès de la médecine, l’espérance de vie des personnes atteintes d’un cancer s’allonge. S’il s’agit évidemment d’une bonne nouvelle, cela signifie également que ces individus doivent vivre plus longtemps avec des tumeurs osseuses douloureuses, voire invalidantes. Il est donc primordial de trouver des solutions pour soulager ces patients.
Thérapie ultrasonore : un traitement efficace, non invasif, bien toléré, mais trop cher ?
Quelles sont les thérapies possibles aujourd’hui ? Seuls des traitements palliatifs peuvent être envisagés, à l’image du recours aux dérivés morphiniques, qui présentent cependant de sérieux effets secondaires. Qu’en est-il de la radiothérapie ? « Ce traitement fonctionne généralement bien, mais son efficacité est limitée dans la durée et il ne peut être répété indéfiniment en raison de son caractère ionisant », avertit Jonathan Vappou, chercheur au CNRS, au sein du laboratoire ICube.
Une autre solution particulièrement efficace consiste à recourir à un traitement par ablation thermique, en utilisant des ultrasons focalisés. « Afin de bien comprendre, imaginez le fonctionnement d’une loupe utilisée pour brûler une feuille », illustre le chercheur. « Le principe est de focaliser l’énergie des rayons du soleil dans le but d’entraîner une brûlure très localisée, au niveau du foyer. Nous reprenons ce même procédé, mais en remplaçant la source lumineuse par des ondes ultrasonores, qui fournissent l’énergie acoustique, dirigée vers le foyer. » Ce fonctionnement présente l’avantage de concentrer l’effet thérapeutique uniquement sur la zone localisée, en évitant de brûler les zones voisines ou la peau. De plus, il s’agit d’un traitement non invasif et non ionisant, ce qui permet de multiplier les doses au besoin.
Cette technique n’est toutefois pas inédite, comme l’explique Jonathan Vappou : « Il existe déjà quelques systèmes exploitant les thérapies ultrasonores pour le traitement des tumeurs osseuses. Le problème est que ces dispositifs sont extrêmement chers et lourds à mettre en œuvre. Ils peuvent s’avérer efficaces dans certains cas, mais leur utilisation est malheureusement limitée selon l’endroit où est localisée la tumeur.
L’enjeu consiste ainsi à rendre le traitement des tumeurs osseuses par ultrasons plus facile à réaliser, moins cher à mettre en œuvre et donc bien plus accessible. Un besoin exprimé, dès 2013, par le directeur du service d’imagerie interventionnelle des Hôpitaux universitaires de Strasbourg. Afin d’y répondre, débutait alors une collaboration entre le laboratoire ICube, représenté par Jonathan Vappou, et l’entreprise Image Guided Therapy, dirigée par Erik Dumont, avec l’aide de la société Axilum Robotics et le soutien du Carnot TSN. « Une collaboration technologique à 100 %, entre des partenaires traitant d’égal à égal », selon le chercheur au CNRS.
L’IRM, une difficulté supplémentaire
Dès le début du projet, l’ambition était de rompre avec les pratiques habituelles des thérapies ultrasonores pour cette indication. En effet, jusqu’à présent, il était nécessaire de positionner le patient au bon endroit sur la table d’opération, au niveau d’une étroite fenêtre permettant le traitement, ce qui s’avérait compliqué, voire impossible dans certains cas. L’approche innovante de l’équipe de recherche consistait, au contraire, à amener directement le transducteur (émettant les ondes ultrasonores) sur l’endroit à traiter. Un véritable défi, puisque, contrairement au cas de la chirurgie ouverte, le médecin ne voit pas la zone qu’il opère.
D’autant qu’une autre contrainte majeure figurait au cahier des charges des chercheurs : les interventions devaient pouvoir être réalisées sous contrôle par IRM (imagerie par résonance magnétique). Un environnement qui exclut notamment toute présence d’éléments métalliques ! De quoi sensiblement compliquer la tâche des auteurs de l’étude. Mais pourquoi s’imposer cette contrainte ? « En théorie, il existe d’autres possibilités, telles que l’imagerie échographique », note Jonathan Vappou. « Néanmoins, l’IRM présente un gros avantage : elle permet de surveiller la température. Et dans notre cas, les cliniciens souhaitaient impérativement disposer de ce suivi en temps réel. » Ce contrôle de la température permet de s’assurer que la zone ciblée dépasse les 80 °C (seuil nécessaire pour obtenir l’effet clinique escompté), mais aussi de vérifier que l’opération n’entraîne pas une surchauffe des tissus voisins, notamment de la peau ou des nerfs moteurs.
Un système de positionnement en jambes
Pour répondre aux objectifs fixés, tout en respectant ces contraintes, l’équipe a élaboré un système de positionnement construit autour d’un transducteur tenu par quatre « jambes ». Chacune d’elles est composée d’une chambre en latex remplie de billes de polypropylène, des matériaux peu coûteux. « Cette constitution donne une grande flexibilité à ces éléments », souligne le chercheur au CNRS. « Mais il suffit de faire le vide à l’intérieur de ces jambes pour les rigidifier et fixer leur position. » Cette innovation, protégée par un brevet, permet d’immobiliser le transducteur, une fois placé par le clinicien.
Cependant, encore faut-il pouvoir le positionner au bon endroit. La manœuvre de navigation se déroule ainsi en deux temps. Premièrement, la cible à traiter est définie en phase préopératoire par le clinicien, ce qui permet de déterminer la position optimale du transducteur par rapport au patient. Ensuite, lors de l’intervention, un processus de recalage et navigation en temps réel sert à repositionner l’équipement à l’endroit préalablement défini. Un travail minutieux, qui fait l’objet de contrôles via IRM, afin d’ajuster le positionnement exact, si nécessaire. Dans tous les cas, des tirs-tests ultrasonores de faible intensité sont effectués pour valider le ciblage de la tumeur, avant de procéder à l’opération complète.
De cette façon, les chercheurs ont mis au point un système modulaire et flexible de traitement des tumeurs osseuses. Baptisé UFOGUIDE, celui-ci se distingue des autres thérapies ultrasonores utilisées pour cette application par son caractère plus fonctionnel, ainsi que par un coût de fabrication largement réduit. Le résultat de six ans de recherche, afin d’obtenir un prototype fonctionnel, puis de lancer des études cliniques (après avoir obtenu les autorisations nécessaires par l’ANSM).
Une réussite ralentie par le Covid-19
Fin 2021, l’équipe a finalement pu tester son dispositif en conditions réelles, sur un patient atteint d’un cancer des poumons, entraînant une métastase osseuse très volumineuse et douloureuse à l’avant-bras. Pour un résultat résolument prometteur : « L’intervention a duré deux heures et tout s’est bien déroulé », rapporte Jonathan Vappou. « La métastase a été éliminée à plus de 80 % et le patient a retrouvé l’usage de son bras, alors qu’une amputation était envisagée avant le traitement par ultrasons. » À ce moment-là , le patient notait en effet sa douleur à 8/10, malgré le recours aux dérivés morphiniques. Trois jours après l’intervention réalisée avec UFOGUIDE, il l’évaluait à 3/10, et ce, sans effet secondaire.
Malheureusement, depuis ce succès, le développement du dispositif a connu un coup d’arrêt. Au grand dam du chercheur au laboratoire ICube : « Ces premiers essais doivent être réalisés sous anesthésie générale, ce qui nécessite la présence de personnel spécialisé en anesthésie tout au long du processus. Et avec la pandémie de Covid-19, ces professionnels étaient évidemment très sollicités… »
La rentrée 2022 semble toutefois porteuse de bonnes nouvelles, avec l’examen de deux nouveaux cas qui pourraient bénéficier de la thérapie par ultrasons focalisés. La collaboration entre Jonathan Vappou et l’entreprise Image Guided Therapy se poursuit donc, sous la forme d’un laboratoire commun créé à l’été 2022 et financé par l’ANR. Avec l’objectif d’apporter des améliorations au dispositif UFOGUIDE, mais également de développer de nouvelles approches thérapeutiques, comme l’utilisation des ultrasons focalisés pour la délivrance localisée de médicaments.