Robotique sociale : des robots pour mieux vivre au quotidien
3 novembre 2021 • Médias du futur - Santé numérique
D’ici quelques années, les robots pourraient faire partie intégrante de notre vie de tous les jours. Mais à quelle fin ? En explorant le champ de la robotique sociale, le laboratoire Robotics by Design Lab questionne les notions fondamentales des relations entre les humains et les robots, pour inventer et expérimenter une nouvelle écologie du vivre ensemble.
Si la robotique a vu son développement s’accélérer ces dernières années, elle exerce une certaine fascination depuis bien plus longtemps, notamment dans la science-fiction. Le mot aurait d’ailleurs été utilisé pour la première fois en 1941, au sein d’un récit signé Isaac Asimov, écrivain référence en la matière. L’arrivée des robots au sein de la société reste toutefois souvent associée à une menace ou à une appréhension : soulèvement des machines, remplacement des employés humains…
Qu’est-ce qu’un robot social ?
À l’opposé de ces scénarios catastrophe, la robotique sociale entend porter une vision positive de la technologie, en cherchant la meilleure façon de mettre les machines au service de la société et de l’individu. Ioana Ocnarescu, directrice de la recherche et chercheuse à Strate École de Design, et Adriana Tapus, professeure et chercheuse à l’ENSTA Paris, œuvrent à faire progresser la recherche dans ce domaine. Elles ont toutes deux contribué à la création de Robotics by Design Lab, un laboratoire labellisé Carnot Télécom et Société numérique, dirigé par la première nommée et qui articule ses activités autour de cette problématique.
« Un robot social a la particularité de posséder des capacités cognitives et de pouvoir interagir avec les êtres humains, dans leur quotidien », explique Adriana Tapus. Il doit donc être capable de percevoir son environnement, de le comprendre et d’adapter son comportement de manière adéquate.
Autre spécificité d’un tel robot : son incarnation physique. Il dispose d’une enveloppe corporelle et possède la capacité de se mouvoir. Une propriété qui exclut certaines applications d’intelligence artificielle, comme les assistants vocaux (Siri, Alexa…). « Ce qui nous intéresse, c’est quand un objet devient un sujet », énonce Ioana Ocnarescu. « Cela implique une autre présence que l’approche passive d’un outil classique. Par exemple, un grille-pain qui adopterait un certain comportement en fonction de l’utilisateur ferait partie de notre champ d’étude. » On parle alors de « robjet », mot-valise composé de « robot » et « objet », né à Strate et proposé par Dominique Sciamma, qui désigne un objet du quotidien qui « prend vie ».
Robotique sociale, le défi
De façon générale, l’ambition de la robotique sociale porte sur le mieux-vivre. Les machines visent ainsi à s’intégrer dans le quotidien des êtres humains, avec des interactions régulières enrichissant leur compréhension de leur environnement. Différentes applications sont envisagées, en particulier auprès des personnes âgées. Par exemple, dans le domaine de la Social Assistive Robotics (Robotique d’assistance sociale), il peut s’agir de faciliter l’accompagnement pendant les programmes de rééducation. Le robot Paro, de son côté, est utilisé dans plusieurs pays comme dispositif médical, afin de calmer les crises d’angoisse. De même, des dispositifs physiques pourraient jouer le rôle de médiateurs entre des pensionnaires de maisons de retraite ou d’EHPAD, afin de rapprocher des personnes souffrant de solitude. En effet, Robotics by Design Lab ne se positionne pas sur le développement de robots capables d’avoir des interactions avec des personnes seules, mais sur l’élaboration de machines pouvant aider les individus à retrouver un lien social avec leurs proches, les aides-soignants et leur écosystème.
Néanmoins, la robotique sociale se heurte à une multitude de défis, d’autant que la technologie n’est pas encore prête. Car il ne suffit pas de placer un robot au milieu des humains pour qu’il soit véritablement bénéfique aux utilisateurs, surtout lorsqu’il s’agit d’une cohabitation de longue durée. Au contraire, un comportement inadapté de la machine peut rapidement conduire à une défiance, voire à un rejet total.
Alors quel est le bon comportement à adopter ? Malheureusement, la réponse à cette question est des plus complexes. En effet, il existe premièrement de grandes disparités selon les cultures : un robot ne pourra pas toujours agir de la même manière au Japon et en France, par exemple. Mais il est également nécessaire de tenir compte des différences interindividuelles, et même intra-individuelles ! Car une même personne peut réagir différemment selon les jours et son humeur du moment.
En outre, dans certaines situations, la conception d’un robot social soulève d’autres interrogations. Par exemple, auprès d’une personne âgée à domicile, jusqu’où doit-il aller pour lui venir en aide ? « Il existe un risque de créer une forme de dépendance au système robotique et d’entraîner une perte d’autonomie », avertit Adriana Tapus. « Dans ce cas, il peut être préférable d’aider l’utilisateur à réaliser des actions lui-même plutôt que de tout faire à sa place. » Toujours dans le but de permettre aux personnes âgées de vivre chez elles le plus longtemps possible. « Ce n’est pas parce qu’on peut le faire qu’il faut le faire », résume Ioana Ocnarescu.
Un laboratoire commun et pluridisciplinaire
Robotics by Design Lab tente de résoudre ces problématiques et, plus généralement, avant de s’interroger sur l’acceptabilité, de penser le service et l’expérience avec des robots sociaux. Il s’agit donc de déterminer comment répondre non seulement aux besoins, mais aussi aux envies des utilisateurs, de sorte à aller au-delà de la seule utilité pratique, tout en s’inscrivant en permanence dans une démarche, plus globale, d’habitabilité du monde.
À cet effet, le laboratoire commun s’appuie sur une approche pluridisciplinaire. Il regroupe ainsi des expertises en design, robotique, informatique, sciences sociales, etc., via la présence d’acteurs aussi bien académiques qu’industriels. Les entreprises partenaires mettent notamment à disposition des chercheurs des lieux d’expérimentation pour leurs travaux, qui visent à identifier les potentiels bénéfices de la robotique sociale sur leurs activités. Et l’ensemble des acteurs impliqués se retrouvent régulièrement, lors d’événements physiques ou virtuels, afin d’avancer ensemble sur les problématiques communes identifiées.
Les travaux de recherche du laboratoire prennent la forme de quatre thèses CIFRE. Le design se retrouve au cœur de chacune, un domaine auquel s’ajoute une expertise spécifique, en fonction des parties prenantes du projet. Des disciplines qui s’entremêlent au sein de la robotique sociale, une particularité qui pousse les doctorants à échanger entre eux, afin de progresser plus vite, via une vision multidimensionnelle. « Il s’agit, en quelque sorte, des pièces d’un même puzzle : chaque thèse peut nourrir les autres », synthétise Adriana Tapus.
Mieux vivre et mieux vieillir au quotidien
« Une des plus ambitieuses thèses d’un point de vue technique et design », d’après Ioana Ocnarescu, est encadrée par les deux chercheuses. Elle est menée en partenariat avec Spoon, une startup française qui met au point des créatures artificielles baptisées « SPooNies ». Un SPooNy prend la forme d’un bras robotique tenant une tablette, sur laquelle s’affiche le visage d’un animal indéfini. Son but : évoluer et grandir dans un environnement social, en fonction des interactions avec les humains. L’objectif de la thèse est d’élaborer un « Creature Development Kit », c’est-à-dire un ensemble d’outils permettant de personnaliser le SPooNy et de l’adapter à chaque contexte, afin de créer in fine davantage de lien social. Avec la difficulté supplémentaire de devoir être capable d’interagir au sein d’un groupe de plusieurs personnes, ce qui nécessite la possibilité d’identifier différentes voix, de comprendre des propos simultanés et de respecter certains usages sociaux (regarder son interlocuteur pour montrer qu’on l’écoute, se tourner physiquement vers l’individu à qui l’on s’adresse…).
Les trois autres thèses de Robotics by Design Lab sont les suivantes :
- Thèse avec le laboratoire LINEACT de CESI, Strate et SNCF : à contre-courant de l’idée que les machines vont remplacer les employés humains, comment la robotique peut-elle aider à l’épanouissement professionnel des collaborateurs ? Cette notion de bien-être est abordée à travers le modèle « d’ikigai », un concept japonais qui représente l’intersection de quatre dimensions : « ce que j’aime », « ce pour quoi je suis compétent », « ce pour quoi je suis payé » et « ce dont le monde a besoin ».
- Thèse avec l’équipe PROJEKT de l’université de Nîmes, Strate et l’entreprise Korian : en quoi la robotique peut-elle aider le personnel soignant des EHPAD ? L’objectif serait d’identifier les outils qui permettraient aux employés de ces établissements d’accompagner au mieux les résidents.
- Thèse avec l’UPEC, Strate, le cabinet de conseil en design frog, BNP Paribas Cardif et Capgemini Engineering (ex-Altran) : comment la robotique peut-elle aider les personnes âgées à préserver leur relation avec leur animal de compagnie à domicile ? Le fait d’avoir un tel compagnon dans sa vie contribue en effet à réduire le sentiment de solitude. L’idée ici n’est donc pas d’utiliser le robot comme un substitut, mais de le placer entre l’être humain et l’animal, afin de répondre aux besoins de chacun (notamment en cas de diminution des capacités cognitives chez l’individu).
À l’heure actuelle, les robots sociaux n’ont pas encore investi notre quotidien. Il convient cependant de s’interroger dès aujourd’hui sur les problématiques soulevées par l’arrivée prochaine de ces machines. Ce qui implique de mêler des domaines techniques comme la robotique et le design à des disciplines telles que la philosophie et les sciences sociales. Car au-delà du savoir-faire technique, la conception de robots véritablement bénéfiques ne peut se passer d’une compréhension fine de l’être humain.